À quoi ressemblerait la carte du monde si ses frontières étaient dessinées selon des critères footballistiques et non géopolitiques ? Réponse : pas à celle que l’on connaît, c’est certain. Le foot, sport le plus populaire au monde se joue dans des centaines de pays, rassemble des milliers de joueurs et réunit des milliards de supporters. Résultat, son influence est telle qu’à sa manière il participe à définir de nouvelles frontières autant qu’il en estompe ou en renforce d’autres…
Esquisser des frontières
Si les lignes qui délimitent le terrain sont bien nettes, celles que dessine le football entre les peuples sont bien plus complexes à appréhender. Véritable instrument de soft power, le foot dépasse les frontières… et les déplace. Pour certains peuples, le football participe même à esquisser une reconnaissance de leur existence au niveau international comme l’explique Honey Thaljieh co-fondatrice de l’équipe nationale féminine de football palestinienne : “Le football dans un pays en guerre a une grande importance. Ce n’est pas juste un sport, c’est une question d’empowerment, de dignité. Pour les Palestiniens c’est aussi et surtout une question d’identité. Si vous regardez une carte du monde, la Palestine n’y figure pas en tant que pays. Mais si vous regardez une carte du football, elle y apparaît, car la FIFA reconnaît la Palestine comme membre à part entière depuis 1988.”
Ce que la politique ne peut pas faire, le football peut le faire.
“Autre cas de figure, celui du Kosovo, cette ancienne province serbe qui a, depuis 2008, déclaré unilatéralement son indépendance et qui est désormais reconnu comme nation à part entière par une centaine de pays. Si le pays possède une équipe nationale officielle depuis 2016, sa formation a connu de multiples remous avant et après la déclaration d’indépendance du pays.
En effet, entre 1993 et 2009, le Kosovo se dote d’une équipe et joue plusieurs rencontres, mais face au désaccord de la Serbie qui refuse toujours de reconnaître son indépendance, la FIFA lui interdit, à partir de 2010, de participer à ses compétitions. Une situation paradoxale pour cette équipe dont l’existence était admise avant que son indépendance ne soit actée et à qui on a refusé l’accès au terrain une fois cette dernière enfin déclarée. Quand la politique et la diplomatie se prennent les pieds dans le ballon…
Des frontières gommées par la mondialisation
Des frontières gommées par la mondialisation
À côté du football “politique”, il existe un football sans frontières, celui de la mondialisation et de la libéralisation des joueurs. Si le mercato international et les clubs d’élite à la sélection éclectique définissent le football d’aujourd’hui, cela n’a pas toujours été le cas
Aujourd’hui la plupart des équipes comportent des joueurs venus de l’extérieur contrairement à il y a une trentaine d’années où l’essentiel des joueurs évoluant dans les championnats en tant que professionnels étaient des locaux. Aujourd’hui on a un football sans frontières. Certains très grands clubs n’ont même plus de nationaux dans leurs effectifs : Juventus de Turin, Inter de Milan, Manchester City, Paris Saint Germain, etc… C’est une évolution du foot qui s’insère dans la mondialisation.
“En effet, pendant longtemps, au sein des clubs, une réglementation limitait à deux le nombre de joueurs étrangers admis sur le terrain à chaque match. À partir de 1995, l’arrêt Bosman – du nom d’un joueur belge qui a défié avec succès cette réglementation – change la donne, interdisant à l’UEFA les quotas appliqués aux joueurs communautaires dans les clubs européens. En 2003, une nouvelle décision de justice, l’arrêt Malaja, étend cette réglementation à 24 pays, principalement situés en Afrique du Nord et en Europe de l’Est (avant leur entrée dans l’UE). Dans les clubs européens, c’est le début du melting pot.
Outre les deux grands arrêts Bosman et Malaja, d’autres critères ont changé la donne en abolissant les frontières ajoute l’expert :
“Le premier est la mondialisation médiatique avec l’apparition des TV satellites qui peuvent se permettre d’acheter le spectacle sportif entraînant une arrivée massive d’argent dans le football qui profite aux plus grandes équipes. Et puis, il y a eu l’arrivée des capitaux mondiaux venus des Etats-Unis ou d’Asie, pourtant traditionnellement éloignés de la sphère du football masculin, et qui ont investi massivement dans des grands clubs européens, créant des marques mondiales. Aujourd’hui un match du PSG est un spectacle mondial, pas seulement Français.”
Une mondialisation bénéfique pour le foot ?
Doit-on se réjouir de ces “fuites de jambes” ? À l’image de la fuite des cerveaux propre aux chercheurs et aux intellectuels qui touche de nombreux pays en développement, les meilleurs éléments du foot ont eux aussi tendance à regarder vers l’Europe où les carrières semblent plus prometteuses. Pour Loïc Ravenel, il faut accueillir ce phénomène avec méfiance :
“Une poignée de clubs se partage l’essentiel des stars et des richesses et les autres doivent se battre pour garder leurs joueurs. Ce sont exactement les même effets que ceux de la mondialisation économique. Bénéfique pour une minorité, négatives pour le reste. C’est un accélérateur de réussite pour les grands clubs et à l’inverse des difficultés de plus en plus croissantes pour les clubs de deuxième et troisième niveau.”
Pour les spectateurs cependant, c’est aussi le gage d’un football toujours plus exigeant et des matchs d’une qualité sans précédent. Côté national, cette “fuite des jambes” n’a pas que des effets négatifs. En évoluant entre-eux, les prodiges du foot créent une émulation sur le terrain, n’en devenant que meilleurs. Et au final, “cette amélioration de la qualité est « captée » par les équipes nationales grâce à la règle de la FIFA, qui demande que les joueurs ne jouent que pour leur équipe nationale.” explique l’économiste serbo-américain Branko Milanovic, dans sa tribune Le foot, industrie sans frontières sur le site du Monde.
Des nations renforcées
À travers les flux de joueurs, de spectateurs, de capitaux le foot se positionne comme le sport le plus mondialisé, tout en restant très ancré dans l’idée de nation. Tout le paradoxe du foot est là. Les grandes compétitions internationales en sont un bon exemple : les Coupes du monde féminines et masculines ou, dernière en date, la CAN, parviennent à réunir les supporters d’une même nation comme nul autre sport ou divertissement ne saurait le faire.
Le football est peut être le dernier bastion de la nation en termes d’identification des spectateurs.
Aujourd’hui on est dans une société de plus en plus multiculturelle où les gens bougent de plus en plus, on est en permanence connecté avec le monde, les moyens de glorifier la nation se font rares en dehors du sport.
“La question de l’identité nationale est également particulièrement importante pour les joueurs binationaux, nés de parents ou de grands-parents de différentes nationalités. Lors de cette CAN-2019, nombreux étaient les Français issus de l’immigration qui ont fait le choix de jouer pour le pays d’origine de leurs parents ou grands-parents. Que les raisons soient tactiques ou sentimentales, ces derniers sont obligés de faire un choix entre l’une ou l’autre nationalité footballistique. Un choix qui va les suivre tout au long de leur vie et qui va les définir en tant qu’individu sportif puisqu’une fois que le joueur a disputé une compétition au sein de l’équipe nationale d’un pays, il ne peut plus basculer dans son autre pays d’origine (hors match amicaux).
C’est notamment le cas d’Andy Delort, né à Sète d’une mère algérienne et qui a rejoint in extremis la sélection des Fennecs d’Algérie pour participer à la CAN. Un nouveau statut qui fait sa fierté mais que le jeu vidéo FIFA n’a apparemment pas encore intégré ! Une petite confusion qu’il a pointé sur Twitter début juillet en demandant à ce que sa fiche joueur soit mise à jour avec le drapeau algérien et non français
Instrument économique, politique autant que culturel, le football est définitivement bien plus qu’un sport !