Comme le disait si bien Aimé Jacquet, “le football est le reflet de notre société”. Et les footballeuses professionnelles et amatrices du monde entier savent de quoi il parle. La reconnaissance de la pratique féminine par le monde du sport et par le public, ainsi que sa professionnalisation, varient incontestablement selon les pays. Mais selon quels critères ? La culture machiste d’un pays va-t-elle nécessairement de pair avec un désintérêt pour la pratique du sport féminin ?
France : tournant en vue ?
En France, femmes et foot entretiennent une relation compliquée. Non pas que ces dernières ne s’y intéressent pas – le nombre de licenciées ayant triplé entre 2011 et 2018 – mais bien parce qu’elles ont dû se relever après de nombreux croche-pieds.
L’histoire d’amour interdite commence en 1917 lorsque deux équipes de la société de gymnastique féminine Femina Sport s’affrontent pour la première fois. A cette époque les activités sportives de plein air se démocratisent pour les femmes et socialement elles jouissent d’un tout nouveau statut. En effet, alors que la Première Guerre mondiale mobilise les hommes sur le front, les femmes doivent faire tourner la boutique et révèlent une force de travail largement sous-estimée jusqu’alors. Faute d’un nombre suffisant de joueuses, le football se joue même en mixité lors de matchs opposant équipes féminines et masculines. Mais la fête n’est que de courte durée et après une interdiction de jouer entre 1941 et le milieu des années 1960 il faut tout reprendre à zéro.
Selon la FFF, sur les 2,2 millions de licenciés comptabilisés fin juin 2018 on recensait 169 312 femmes dont 125 412 pratiquantes, 35 000 dirigeantes, 8.000 éducatrices et 900 arbitres. Si les chiffres peuvent sembler bas pour qui ne connais pas le milieu, il faut rappeler que c’est trois fois plus qu’en 2011 et que suite à la victoire des Bleus cet été 2018, la pratique a connu un boom sans précédent chez les filles, +15% dès la rentrée 2018. Ajoutez à cela le mondial féminin qui se prépare dans l’Hexagone avec un dispositif médiatique jamais vu et vous aurez tous les ingrédients pour faire décoller l’image du football féminin.
Est-ce un hasard si, en parallèle, les questions d’égalité homme/femme et d’empowerment gagnent du terrain ? Pas tout à fait si on s’en réfère à la maxime d’Aimé Jacquet.
Une structuration pro inégale
Si à domicile le tableau s’éclaircit, qu’en est-il dans les autres pays ? Sous quelles latitudes le football féminin brille-t-il le plus ardemment ? Pour le savoir nous avons interrogé Candice Prévost, ancienne attaquante du Paris Saint-Germain et consultante sur Canal +. Avec Mélina Boetti, son ancienne acolyte dans l’émission Femmes2Foot diffusée sur Eurosport en 2015, elles sont parties à la rencontre des « filles qui font le foot » à travers le monde. Le projet baptisé Little Miss Soccer offre une mosaïques de portraits à travers 15 pays et 5 continents. Une série qui sera diffusée lors de la Coupe du monde sur Canal + Sport.
L’ancienne joueuse distingue deux types de pays. Les premiers où la structuration professionnelle est la plus avancée et les seconds où c’est la ferveur des supporters qui assure le succès du football féminin.
« Au niveau international on constate que le niveau s’intensifie. En allant voir dans des pays comme le Mexique, les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande ou au Japon, on a pu voir que la structuration est adaptée au modèle du pays et à sa culture. Le foot féminin se professionnalise de mieux en mieux et la pratique se démocratise. On commence à casser le stéréotype du football perçu comme un sport d’homme.” rapporte Candice Prévost avant d’ajouter : “on le voit dans les pays scandinaves, très portés sur l’égalité homme/femme ou au Japon où la structuration professionnelle est impressionnante. Les clubs intègrent les écoles il y a donc un vrai lien qui se fait entre le fédéral et le niveau éducatif. Quand on voir les petites Japonaises qui jouent, c’est impressionnant, elles ont une rigueur incroyable !“
Côté égalité des sexes, Candice Prevost retient de son tour du monde la Nouvelle Zélande où la question de l’égalité salariale entre joueuses et joueurs de la sélection nationale a enfin été tranchée en mai 2018. Désormais, les primes de match et les droits d’image seront équivalents et les joueuses voyageront en classe affaire comme leur homologues masculins.
Quand la ferveur populaire donne des ailes
Parfois cependant, ce n’est pas tant les clubs ou les fédérations qui portent la discipline, mais bien les supporters. C’est le cas notamment au État-Unis où le soccer est un sport davantage féminin que masculin. “Pour les américains qui ont le culte du corps et du muscle, l’homme va plutôt s’orienter vers des sports comme le baseball, le basketball ou le football américain.” explique Candice Prévost. Résultat ? Un boulevard s’est dégagé pour les femmes qui ont pu montrer plus d’une fois leur valeur sur le terrain. A Portland, par exemple, “soccer town” par excellence, le Providence Park qui compte 20 000 places est plein à chaque rencontre, féminine comme masculine.
En revanche, confie la réalisatrice, “plus on va vers le sud et plus c’est compliqué.” Là où le machisme règne dans la culture, il se retrouve généralement sur le terrain. L’Argentine ou le Pérou restent pour elle les pays où les femmes étaient les moins mises en lumière et soutenues. “Là où on a rencontré le plus de machisme et de difficulté à faire de la place au femmes sur les terrains, c’était en Argentine. Côté masculin on connaît leurs joueurs, à commencer par Lionel Messi, mais côté féminin, on ne connaît pas un seul nom de joueuse. Sur place on s’est rendu compte que c’était très difficile pour elles.”
Au fil de leur tour du monde, d’autres pays leur ont réservé de belles surprises comme en Espagne avec l’Athletic Bilbao, où “les stades sont toujours pleins et débordent d’une ferveur incroyable” ou lors de la Coupe d’Afrique des Nations, où les supporters sont autant présents pour les femmes que pour les hommes. “Qu’il s’agisse des Lions ou des Lionnes Indomptables, au Cameroun, il n’y a pas de différence. Les supporters encouragent ou râlent contre joueuses et joueurs de la même façon.”
Au final, partout dans le monde, des femmes pratiquent le football. Leur visibilité et leur reconnaissance dépendent en revanche des mentalités du pays dans lequel elle dribblent. Espérons que le mondial 2019 sera l’occasion de diffuser à l’international les bonnes pratiques en cours dans chaque pays !